Article – GTA 5 : pourquoi cette saga violente et disruptive passionne toujours les joueurs
GTA 5 : pourquoi cette saga violente et disruptive passionne toujours les joueurs – le Plus. Article initialement publié par Vanessa Lalo dans leplusnouvelobs le 17/09/13
La saga GTA fait toujours recette auprès des joueurs, pour des raisons qu’il convient d’exposer sur plusieurs plans.
Dans un premier temps, on est tenté d’expliquer l’attrait des joueurs par le fait que l’expérience proposée par GTA ne pourrait pas se réaliser dans leur vraie vie. Jouer à GTA, c’est pouvoir investir la peau d’un gangster, un profil a priori inaccessible pour le joueur dans son quotidien. Dans cette vie parallèle, on n’est pas jugé pour nos actions. Qu’elles soient morales ou pas n’intéresse personne. C’est d’ailleurs tout ce qui fait l’intérêt et le succès du jeu.
La catharsis oui, mais pas pour tout le monde
Cependant, en invoquant la catharsis, il faut faire très attention à ne pas amalgamer les profils des joueurs. Le besoin cathartique ne se retrouve pas chez tous les gamers, qui jouent à GTA pour des raisons qui peuvent être extrêmement différentes.
Il y a des gens qui se tournent vers GTA parce qu’ils sont fatigués de n’avoir joué qu’à des jeux positifs, dans lesquels les personnages ont vocation à faire le bien ou sauver le monde. Les joueurs peuvent avoir envie de tester d’autres schémas de jeu, moins manichéens et ainsi explorer des dimensions scénaristiques auxquelles ils ne sont pas classiquement habitués.
D’autres iront vers GTA avec l’envie de se défouler et de mettre en place des choses qu’ils n’arrivent pas à concrétiser dans leur vie de tous les jours. C’est à ce moment-là qu’on parlera convenablement de catharsis.
Mais il ne faut pas oublier que GTA a été conçu pour les casual gamers, les joueurs occasionnels : des ados ou des gens qui n’auront pas forcément envie de suivre le scénario du jeu à la lettre et qui préfèreront passer du temps à explorer l’environnement, par exemple.
La particularité de GTA, c’est que même si les missions l’y poussent, le joueur n’est pas obligé de commettre des actes négatifs ou juridiquement répréhensibles. C’est ce côté contemplatif qui est très agréable, et qui peut aussi faire de GTA un jeu plus proche du monde du cinéma et des séries que des jeux vidéo classiques. Comme dans « World of Warcraft« .
Se confronter à nos propres limites
Le plaisir du jeu, c’est justement d’avoir la possibilité de commettre des actes illégaux, qui jouent avec les codes et la valeurs d’une société données à un moment précis. C’est à ce moment que le parallèle avec le cinéma et les séries est le plus prégnant.
Nous sommes fascinés par « Le Parrain » ou par « Les Sopranos » parce qu’ils détiennent du pouvoir, et qu’on n’a pas le droit de s’approcher de leur milieu dans la vie réelle, parce qu’il est obscur et dangereux. Jouer à GTA, c’est se confronter à nos propres limites, tester notre capacité à appréhender le risque, la violence et le danger. C’est aussi mettre un pied dans ce monde interdit tout en restant bien en sécurité sur notre canapé. Une manière de se projeter sans pour autant risquer quoique ce soit dans la vie réelle.
GTA 5, « Breaking Bad », même combat ?
Filons ce parallèle pour cerner encore mieux l’attrait des joueurs pour ce jeu. Prenons une série comme « Breaking Bad ». Certes la photo est époustouflante, certes le scénario est fascinant, mais cela ne suffit pas à nous attacher à cette série. Non, ce qui nous captive dans « Breaking Bad », c’est le personnage de Walter qui, confronté à une problématique financiaro-médicale grave, bascule au fil des épisodes. En effet, la solution la plus simple qu’il a trouvée pour payer son traitement, c’est produire de la crystal-meth.
En tant que spectateur, on n’est pas en mesure de le juger parce que justement, on assiste à son changement. Au départ, Walter est comme nous, c’est n’importe qui… Et peu à peu, alors qu’il finit par tuer des gens, on n’arrive pas à condamner ses décisions et l’on s’identifie à lui. On est nous-même en mesure de justifier ses choix parce qu’on le suit depuis le début de son histoire.
Dans GTA, les trois personnages jouables ont des profils psychologiques très intéressants, très différenciables aussi bien par leurs qualités que par leurs problèmes. L’un d’entre eux, Michael, alcoolique notoire, va même voir un psychologue à l’intérieur du jeu. Un personnage tiers auprès duquel on peut se confier, mais qu’on a aussi la possibilité de congédier.
Cette feature est très significative dans le sens où le jeu vidéo est déjà en lui-même un tiers, une projection externe de nous-mêmes. Cette mise en abîme du psychologue tiers à l’intérieur du jeu vidéo (lui-même tiers) pousse à penser que le joueur aura tendance à faire coïncider les réponses de Michael avec ce qu’il aurait lui-même intimement répondu au psychologue. GTA s’inscrit donc on-ne-peut-plus dans le réalisme et dans la vie en dehors du jeu, dans la vie réelle.
Une satire du rêve américain
Un autre élément qui fait incontestablement le succès de GTA, c’est la satire que le jeu fait du rêve américain. Pour réussir dans GTA, pas besoin de pavillon en banlieue, ni de job fascinant, ni de Scénic, ni de petit chien et encore moins d’enfant(s). Les seuls critères de réussite valables sont les femmes, le pouvoir, l’influence, l’argent et les voitures.
Rockstar moque donc délibérément le modèle de réussite américain, la jeunesse dorée qui n’a jamais eu à investir du temps pour sa propre réussite et le fantasme de la célébrité à moindre coût. Un modèle dans lequel passer à la télé est en soi une finalité. GTA pose donc la question suivante : être un malfrat, c’est un chemin ou un but ? Toujours est-il que pour arriver à la fin du scénario, le joueur, lui, est contraint de s’impliquer dans le jeu…
En montrant à ce point que l’on n’a rien sans rien, ou que l’on ne devient personne sans sacrifices, GTA ne montre-t-il pas aux joueurs que pour se réaliser, ils devront investir du temps ?