Article – Serious games : comment les jeux vidéo peuvent rajeunir le cerveau
Serious games : comment les jeux vidéo peuvent rajeunir le cerveau – le Plus. Article initialement publié par Vanessa Lalo dans leplusnouvelobs le 17/09/13
Serious games : comment les jeux vidéo peuvent rajeunir le cerveau
Depuis quelques années déjà, les Wii ont intégré les maisons de retraite pour laisser les seniors jouer au bowling virtuel. Ce type de jeu permet à la fois le maintien des fonctions psychomotrices et la création de lien social. S’amuser ensemble et s’affronter est une autre forme de compétition que le rami ! Les tournois sur Wii-sport, devenus plus fréquents, fédèrent les personnes âgées et offrent un espace où tout est permis. Allant du rire à la compétition et au dépassement de soi, en passant par une dynamique groupale socialisante, les jeux ont tout pour plaire aux moins jeunes.
Immersion virtuelle
Pas simplement intellectuels et pas totalement physiques, les jeux Wii-sport ouvrent sur une compétition décloisonnant des enjeux corporels habituels. Les personnes en fauteuil roulant, par exemple, peuvent ainsi jouer au tennis sur le même pied d’égalité qu’une personne valide, en se dégageant de la problématique du corps.
Contrairement à un jeu de cartes ou de plateau, les jeux vidéo sollicitent de nombreux plans simultanément : sensoriels, cognitifs, psychomoteurs, fantasmatiques… Ils ont donc un impact immédiat sur le joueur et laissent une trace mémorielle plus importante grâce à l’association du geste à la pensée et la répétition des tâches notamment.
Des jeux à visée thérapeutique, comme NeuroRacer, redynamisent le cerveau. Ainsi, après avoir joué à NeuroRacer, des personnes de plus de 60 ans – et jusqu’à 80 ans – ont une attention et une capacité à mener plusieurs tâches de front dignes de celles de jeunes d’une vingtaine d’années.
Comment ces effets ont-ils lieu ? En faisant retravailler certaines fonctions cognitives, les chemins synaptiques se recréent et la rapidité des connexions augmente avec l’habitude. Il s’agit de la plasticité neuronale : le cerveau n’a pas un début et une fin mais une suite d’évolutions et d’adaptations selon les apprentissages.
En outre, les joueurs vivent une expérience immersive, à la fois sonore, tactile et visuelle. Sans s’en rendre compte, les sujets entreprennent un travail cognitif, puisque chaque action psychomotrice fait appel à une tâche cognitive préalable pour identifier le geste à mettre en œuvre et ainsi voir la bonne action se réaliser à l’écran.
Apprentissage intégré
L’apprentissage étant intégré aux jeux vidéo grâce à ses mécaniques intrinsèques, il est fort aisé de les utiliser dans bien des contextes. De plus en plus de kinésithérapeutes et personnels médicaux se tournent ainsi vers des solutions numériques avec leurs patients.
L’immersion virtuelle via un casque par exemple fait partie des outils en voie de développement. En plongeant les patients dans un univers visuel et sonore donné, l’impact thérapeutique est bien plus conséquent qu’en leur demandant de répéter le même mouvement de façon passive et systématique.
Les conflits potentiels avec le prescripteur sont aussi évités puisque c’est le jeu qui guide et le soignant qui rassure et accompagne. Les casques virtuels permettent également de soulager les phobies, en amenant pas à pas le sujet à se confronter à ses craintes, ou encore en simulant des situations difficilement reproductibles dans la réalité.
Autre exemple : à l’hôpital de La Salpêtrière, le jeu Happy neuron est employé pour stimuler les patients dépressifs, ayant subi un AVC ou les schizophrènes. Le principe est de rester dans un circuit positif. Plutôt que de se fixer sur le long terme des objectifs qui semblent inenvisageables, le joueur avance au jour le jour, ou tout du moins ne recule pas, car les mêmes niveaux peuvent être rejoués.
Le jeu offre la possibilité de persévérer sans s’en rendre compte et d’éviter la déperdition des capacités. Pour ces patients, il est important de ne pas rester dans un principe d’échecs répétés et de redorer l’estime de soi.
Pas assez sérieux, les jeux vidéo ?
Les serious games, ces outils vidéo-ludiques à vocation sérieuse, élargissent aujourd’hui le champ du jeu vidéo dans un espace entre-deux, entre plaisir ludique du jeu et but sérieux. Conçus pour être informatifs, préventifs, pédagogiques ou thérapeutiques, les serious games ont encore du mal à trouver leur place parmi les dispositifs sérieux.
Différentes raisons freinent donc l’utilisation de jeux thérapeutiques pour les seniors, même si la recherche a déjà fait preuve d’imagination et d’études poussées. En effet, depuis 30 ans, des recherches [1] sont mises en place dans le but de tester l’impact du jeu vidéo pour lutter contre le vieillissement cognitif chez les seniors et tenter de trouver des outils pour ralentir l’avancée de certaines maladies.
Pourtant, malgré de nombreux résultats positifs, l’engouement ne prend pas encore, du côté des institutions comme de l’industrie. Ne sommes-nous pas prêts ? Pour quelles raisons ? La situation pourra-t-elle évoluer ?
Un début de réponse se trouve dans l’idée que les jeux sérieux n’en restent pas moins des jeux. Les pédagogues et personnels de santé restent encore réticents quant à l’introduction du ludique dans leurs espaces de travail car, à l’instar des médias et de nombreux parents, le jeu vidéo est encore mal considéré et pas suffisamment connu pour ses vertus.
Toujours dans cet esprit, si l’on se tourne vers les jeux vidéo, ils doivent rester « sérieux » pour être crédibles. Intégrer trop de ludique dans une sphère sérieuse reste encore difficile car les commanditaires souhaitent des outils qui répondent à un besoin.
C’est pourtant le plaisir de jouer qui a le plus d’impact sur l’individu. Les chercheurs l’ayant bien compris, les serious games tendent donc à s’équilibrer pour proposer autant de sérieux que de jeu à leurs utilisateurs, l’un n’étant pas à décorréler de l’autre.
Retard de l’industrie sur la recherche
Le Village aux oiseaux est le parfait exemple d’un serious game combinant toutes les clefs. Primé aux e-virtuoses 2011, dans la catégorie Recherche & Développement, cet outil a été conçu dans le but de ralentir l’évolution des dégénérescences liées à la maladie d’Alzheimer, en stimulant l’attention des patients. Incarnant un photographe, le joueur est invité à photographier certaines espèces d’oiseaux pour que le village obtienne le statut de réserve naturelle.
Ce projet comporte toutes les composantes pour proposer un complément solide aux méthodes de soins classiques. Conçu pour correspondre aux attentes des joueurs seniors et intégrant une mécanique de jeu (gameplay) spécifiquement développée en adéquation avec la problématique médicale, ce jeu de tir subjectif est également esthétique, agréable à jouer et suscite la compétition. Somme toute, un jeu thérapeutique à haut potentiel.
En attente de financement, ce projet devrait attirer l’attention, c’est le cas de le dire, mais l’industrie peine encore à s’investir. Deux principales raisons expliquent ce phénomène :
D’une part, le modèle économique des jeux thérapeutiques est encore à inventer. Qui finance ? S’agit-il du patient, des institutions, de budgets dédiés ?
Contrairement aux États-Unis où les hôpitaux et maisons de retraite attirent leurs « clients » grâce à leurs innovations technologiques, la France dispose d’un modèle public où les financements restent difficiles à trouver. Par ailleurs, quand de rares budgets peuvent être alloués aux innovations, les interlocuteurs restent frileux car la pratique du médical numérisé n’est pas suffisamment répandue et son efficacité peine encore à se légitimer.
D’autre part, encore considérés comme des financeurs de jeux pour leurs petits-enfants, les seniors sont très peu appréhendés comme des utilisateurs potentiels par l’industrie. Les données quant à leurs usages sont peu nombreuses, ce qui rend plus difficile la création d’outils leur étant destinés.
Le vieillissement de la population viendra bientôt inciter l’industrie à s’emparer de cette cible et à développer l’offre. Dès que l’industrie aura compris que les seniors aiment jouer autant que les plus jeunes, des jeux vidéo ciblés se mettront à pulluler.
Habitués au numérique et aux jeux vidéo, les jeunes connectés d’aujourd’hui sont les seniors de demain. Alors bientôt tous joueurs ? Tous un cerveau de 20 ans ?
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[1] Sélection de 6 études au cours des 30 dernières années. Ces recherches ont montré l’amélioration de la coordination visuo-motrice, et de l’intelligence générale et verbale (1), l’amélioration des performances de temps de réaction (2 et 4), l’amélioration de la vitesse de sélection des réponses (3), l’amélioration des fonctions exécutives (mémoire de travail, mémoire visuelle à court terme et raisonnement) (5). La dernière étude porte sur le plaisir associé à l’apprentissage (6) :
1. Drew D, Waters J (1986) “Video Games: utilization of a novel strategy to improve perceptual motor skills and cognitive functioning in the non-institutionalized elderly”, in Cognitive Rehabilitation.
2.Clark JE, Lanphear AK, Riddick CC (1987) “The effects of videogames playing on the response selection processing of elderly adults”, in J Gerontol.
3. Dustman RE, Emmerson RY, Steinhaus LA, Shearer DE, Dustman TJ (1992) “The effects of videogames playing on neuropsychological performance of elderly adults” in J Gerontol.
4. Goldstein J, Cajko L, Oosterbroek M, Michielsen M, Van Houten O, Salverda F (1997) “Video games and the ederly”, in SBP Journal.
5. Basak C, Boot WR, Voss MW, Kramer AF (2008) “Can training in a realtime strategy videogame attenuate cognitive decline in adults?”, in Psychol Aging.
6. Dishman RK, Motl RW, Saunders R, Felton G, Ward DS, Dowda M, et al (2005) “Enjoyment mediates effects of a school-based physical-activity intervention”, in Med Sci Sports Exerc.