Tribune – « Les psychologues doivent être au cœur du dispositif de soutien psychologique face à une troisième vague qui s’annonce comme inévitable » (30/11/2020)

Tribune publiée sur Allodocteurs.fr, le 30 novembre 2020.

[Edito] : Face à la souffrance psychique de nombreux Français provoquée par la crise sanitaire, des psychologues proposent la création d’un numéro vert gratuit et un suivi sur une plateforme sécurisée gérée par des professionnels diplômés.

Selon le rapport hebdomadaire de Santé publique France datant du 12 novembre 2020, 1 Français sur 5 souffre d’anxiété ou de trouble dépressif, observés chez tous les profils socio démographiques.

La question de l’équilibre psychique est enfin largement abordée par les autorités et les médias depuis peu.

Devant l’urgence de la situation et l’extrême détresse dans laquelle des millions de Français sont, on ne peut laisser des écoutants, qui ne sont pas psychologues, accueillir cette 3ème vague qui s’annonce inédite par son ampleur. Les psychologues constituent une profession réglementée, le soutien psychologique est de leur compétence.

Qu’il s’agisse des fragilités psychiques des personnes en général depuis le 1er confinement ou plus spécifiquement des étudiants, des jeunes, des femmes, des télétravailleurs, et des artisans/commerçants/indépendants, les impacts psychologiques sont nombreux : états dépressif en nette hausse, états anxieux, état de stress, voir état de stress post-traumatique…

Le 1er confinement était marquant en termes de sidération, anxiété, peur, angoisse, isolement, augmentation des addictions, troubles du sommeil, troubles de l‘alimentation…

Les mois qui ont suivi ont laissé place à divers symptômes, de l’hypocondrie, aux envies suicidaires, aux états dépressifs et au désespoir, avec une impossibilité à donner du sens, une absence d’horizon.

Quelles solutions sont proposées ?

Pendant les mois qui ont suivi le 1er confinement, les conséquences psychologiques ont été sous-estimées, comme si les réactions à une situation de crise allaient disparaître toutes seules.

Bien que des lignes d’écoute aient été mises en place par différents acteurs, leurs relais ont été insuffisants et nous avons pu observer que derrière les lignes d’écoute en général, ne se trouvent pas des psychologues qualifiés mais des « écoutants ». En l’absence de psychologues diplômés, il ne peut s’agir ni de soutien psychologique, ni de soins psychologiques.

Pourtant, les psychologues ont été inscrits dans le parcours de soin au moment du Ségur de la santé. Quels psychologues sont considérés comme faisant partie de ce parcours ? Quelle est leur place dans une crise dont la 3ème vague est avant tout identifiée comme un tsunami psychologique ?

Le premier confinement nous a pris par surprise. Les psychologues se sont mobilisés avec les ressources dont ils disposaient à ce moment-là. Ils ont été des milliers à se mettre à disposition bénévolement.

Il est apparu urgent de pouvoir répondre aux réactions que provoque une crise ainsi qu’à l’isolement des personnes qui avaient besoin d’un accompagnement psychologique et de sécurité psychique.

Des dizaines de lignes d’écoute gratuites ont été ouvertes dans des délais très courts.

Sur le numéro vert de soutien psychologique auquel nous avons participé de mars à juin, nous avons comptabilisé 7 000 consultations. Et encore nous ne disposons pas des chiffres des autres lignes gratuites à destination de la population générale, ou dédiée aux soignants et aux entrepreneurs.

Ces consultations ont été offertes par nous, psychologues, seule profession du soin à avoir agi sans rémunération pendant la crise et hors de la cellule de crise.

Le Ministre de la Santé a annoncé, lors de sa conférence de presse du jeudi 19 novembre, vouloir « développer et investir massivement dans les soins psychologiques ».

Ainsi, 41 cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP) ont été renforcées avec des binômes psychologues / infirmiers, ayant assuré 8 000 consultations lors de la 1ère vague.

160 psychologues sont, de même, actuellement en cours de recrutement dans les centres médico-psychologiques (CMP).

Combien de temps cela prendra-t-il ? Pour quels résultats ? Qui pourra en bénéficier ? Sur quels critères ?

Un calcul rapide : selon Santé publique France, 1 Français sur 5 souffrant d’état dépressif sur 60 millions, c’est 12 millions de personnes.

Les conséquences d’une non prise en charge psychologique des citoyens auront des répercussions sociales et économiques. Et c’est maintenant qu’elle doit se faire.

La volonté du gouvernement de renforcer les CUMP et CMP est un très bon signal et nous nous en réjouissons mais cela ne peut pas suffire car cela ne comble qu’une infime partie des besoins qui existaient auparavant, au vu de la surcharge des institutions et des délais pour obtenir une première consultation.

Le psychologue au cœur d’un dispositif d’accompagnement psychologique

Dans un contexte de crise, les manifestations de compassion sont essentielles mais pas suffisantes. L’intervention professionnelle du psychologue ne peut s’improviser.

Un certain nombre de psychologues l’ont éprouvé et ont enrichi leurs pratiques durant les premières vagues.

C’est cette forme nouvelle de compétences que nous souhaitons mettre en œuvre, au profit de la population et des acteurs dans la crise.

Le titre de psychologue est garant de la qualité de l’accompagnement et protège les usagers des des mésusages de la psychologie.

Dans ce contexte de crise nous, psychologues et organisations / syndicats avons proposé au gouvernement en première intention un dispositif de soutien psychologique, à destination de tous les publics.

Des psychologues formés et encadrés sont les seuls habilités à proposer un soutien psychologique en situations d’exceptions, dans le respect du code de déontologie de la profession. Nous renouvelons cette proposition.

Il y a urgence que les psychologues soient dans la conception et l’élaboration d’un soutien psychologique.

Comme lors de nos précédentes expériences, notre dispositif s’appuie sur les moyens numériques à l’aide d’un numéro vert pour le premier contact. Il s’accompagne de la possibilité d’un suivi sur 2 entretiens, soit par téléphone, soit par tchat ou téléconsultation, sur une plateforme d’écoute sécurisée assurant la confidentialité des échanges.

Pour assurer la pérennité de l’intervention, chaque personne dans son environnement doit être en mesure de trouver un professionnel qualifié afin de pouvoir réaliser sur le temps nécessaire son besoin d’écoute, de sécurité psychique (psychologue libéraux) ou d’ être orienté vers les acteurs et lieux de soins institutionnels (médecins généralistes, psychiatres, CMP…).

Y a-t-il une volonté de prendre en charge le coût de ce dispositif qui est au bénéfice du plus grand nombre ?

Vanessa Lalo, psychologue clinicienne libérale

Gilbert Lacanal, psychologue clinicien (Psychologues du Monde)

Patrick Ange Raoult, psychologue clinicien, enseignant chercheur HDR