Article – Révolution numérique : apprendre et guérir autrement ?
Révolution numérique : apprendre et guérir autrement ? – le Plus. Article initialement publié par Vanessa Lalo dans leplusnouvelobs le 17/05/11.
Révolution numérique : apprendre et guérir autrement ?
63,3 % des Français, âgés de 35,6 ans en moyenne, ont joué à des jeux vidéo au cours des 6 derniers mois [1]. Loin du cliché des geeks et des hardcore gamers, le jeu vidéo et les technologies numériques sont désormais installés dans notre quotidien. Ces outils, longtemps pointés du doigt, peuvent également présenter de nombreux aspects positifs.
État des lieux de médias numériques encore mal identifiés.
Le jeu : un besoin humain
« Le jeu devrait être considéré comme l’activité la plus sérieuse des enfants ». Cette proposition de Montaigne ouvre sur une réflexion entre l’activité de jouer primordiale chez l’enfant, et le sérieux du jeu persistant chez l’adulte.
Pour l’enfant, le jeu est essentiel et gage de sa construction. D.W. Winnicott s’est centré sur l’activité de jouer, le playing en le différenciant du gaming qui ne représente que le jeu en soi [2].
Le premier jeu de l’enfant se constitue autour de la séparation avec sa mère afin de mieux accepter et maîtriser son absence tout en continuant à exister malgré cette séparation. La mise en scène de l’absence/présence de sa mère permet ainsi à l’enfant d’accéder à une identité structurée et d’intégrer les Principes de plaisir et de réalité [3] en conflictualisant, à travers le « comme si » du jeu, ses fantasmes, ses désirs et ses frustrations.
Dès lors, le jeu sera, tout au long de la vie, un refuge, un moyen, un outil, pour avancer dans une réalité parfois déplaisante.
Seulement, en dehors de l’enfance, le jeu est encore mal compris. Pourtant, les jeux vidéo se démocratisent et proposent bien d’autres aspects que les seuls jeux de combats sur console ou sur ordinateur. L’offre étant de plus en plus variée, les femmes, les filles et les garçons se voient aujourd’hui proposer des jeux sur de multiples sujets et supports, en corrélation avec les attentes de chacun. Qu’il s’agisse des jeux en ligne, sur Facebook, sur Wii, sur DS ou encore sur smartphone, les jeux vidéo et les nouveaux médias numériques envahissent notre quotidien et transforment parents comme enfants en nouveaux joueurs et en nouveaux consommateurs.
Sont-ils « addicts » pour autant ?
Société de consommation ou réelle addiction ?
De nouvelles pathologies propres au XXIème siècle et à son ère numérique viennent bouleverser la clinique actuelle. Société de consommation oblige, nous pouvons aujourd’hui « zapper », « bloquer » son accès aux autres, virtualiser ses relations, réagir en ligne immédiatement après un commentaire ou encore correspondre par mails ou sms via son téléphone. Une question ? Wikipédia ou Google viendront y répondre instantanément de chez soi, du bureau ou du métro.
L’immédiateté des relations et la consommation excessive des objets du quotidien tendent à modifier les fonctionnements psychiques vers des pathologies dites « limites » de plus en plus fréquentes.
Alors demain, tous borderline ? Addicts à l’addiction ?
La démultiplication de l’emploi du terme addiction pose un problème clinique quant à l’objet dont nous parlons. Devons-nous considérer comme « objet addictif » tout objet utilisé avec excès ? Addiction au sexe, au poker, à la nourriture, au sport, à Facebook, au café… Les conduites addictives [4] se greffent sur d’innombrables objets, mais peut-on dire, pour autant, que l’objet en est la cause ? Si les joueurs excessifs n’avaient pas la possibilité d’utiliser l’ »objet jeu vidéo », ne se tourneraient-ils pas vers une autre réponse ?
Bien que nous soyons confrontés à des sujets dont le comportement peut parfois déconcerter, la question, à mon sens, n’est donc pas de se positionner sur l’existence ou non d’une « addiction » au jeu vidéo, mais plutôt de trouver un juste milieu dans notre appréhension des nouvelles technologies afin de savoir vivre avec en connaissant tout autant leurs risques que leurs bienfaits.
S’ouvrir à d’autres formes d’apprentissages
Les jeux vidéo et autres nouvelles technologies offrent un espace des possibles infini. Leurs effets bénéfiques sont considérables. Le jeu vidéo stimule, par exemple, la concentration, la mémorisation, le développement de compétences stratégiques…
Peut-on alors envisager de jouer autrement avec l’ère numérique ?
L’américaine Katie Salen [5], directrice de l’Institute of Play à New-York, propose depuis 2007 une formation uniquement basée sur les jeux vidéo. Elle a également aidé à la conception en 2009 d’une nouvelle école de Manhattan, Quest to Learn, dédiée aux enfants de l’ère numérique où les modes des jeux vidéo sont exploités : acquérir de nouvelles compétences, passer au niveau supérieur, et obtenir un feedback (retour d’expérience positif ou négatif).
Ne pourrions-nous pas nous inspirer, en France, de ces systèmes révolutionnaires où les enfants se rendent à l’école avec enchantement pour apprendre ludiquement ? D’autres formes d’apprentissages sont-elles possibles par le jeu vidéo ?
Ces jeux vidéo sérieux à vocation ludique et pédagogique, appelés serious games, pourraient être la clef vers une meilleure appréhension des nouvelles technologies et des bienfaits du jeu vidéo.
Les entreprises françaises commencent à se tourner vers ces nouvelles solutions d’apprentissages, en proposant à leurs clients et employés des serious games pour mieux comprendre l’entreprise et ses techniques spécifiques, améliorer les performances des salariés ou encore favoriser leur mobilité interne.
Concernant les serious games thérapeutiques ou à visée préventive, nous pouvons citer « Elude » destiné à sensibiliser l’entourage de sujets dépressifs, ou encore « A kid’s guide to changing families », un serious game australien s’adressant aux enfants dont les parents se séparent. Ces serious games dont l’approche et les effets escomptés sont controversés méritent, pour autant, de proposer une alternative et un soutien lorsque l’expérience interne remplace les mots. De même, le medium du jeu étant de plus en plus présent dans les foyers, son utilisation thérapeutique peut prendre la forme d’un espace sécurisant et contenant tout en créant une distance rassurante par le biais de l’écran.
Les rééducations thérapeutiques par le jeu vidéo peuvent aussi intervenir dans l’observation et l’évaluation de sujets cérébrolésés (accident vasculaire, Alzheimer…) souffrant de déficiences cognitives, logiques, organisationnelles, attentionnelles, mémorielles… R.O.G.E.R, un nouveau serious game belge fonctionnant avec le Kinect de la Xbox, est destiné aux soignants.
« Wii-bowling », est aussi mis à profit en maisons de retraites, visant à favoriser la rééducation psychomotrice et le lien social. Le tournoi des seniors a dorénavant lieu tous les ans à Poitiers lors de la Gamers Assembly [6]. Vers une évolution des thérapies ?
Les nouveaux médias numériques tendent à se présenter sous de multiples facettes, en proposant une alternative tant thérapeutique que ludique.
Devons-nous alors nous centrer sur les risques d’excès et proscrire ces outils technologiques ou plutôt nous éduquer à ces médias, contrôler leurs utilisations, les exploiter et ainsi éviter leurs pièges ?
Aurions-nous tort de nous tourner vers d’autres modes de pensées, d’apprentissages et de thérapies ?
Vanessa Lalo
[1] Selon l’étude publiée en juin 2010 par Gfk pour le CNC, Les pratiques de consommation de jeux vidéo des Français
[2] Son livre Jeu et Réalité (1971), représente le paroxysme de sa pensée.
[3] Freud, S. (1920) « Au-delà du principe de plaisir » in Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 2001
[4] M-M. Jacquet et A. Rigaud considèrent que les « conduites addictives » se grefferaient sur une dépendance préexistante aux « objets externes », ainsi que sur des assises narcissiques fragiles.
[5] Conceptrice de jeux vidéo (game designer) et enseignante à New-York
[6] Plus gros évènement français rassemblant 800 joueurs de jeux vidéo en réseau et 3500 visiteurs
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