Mission parlementaire Esport, compétitions de jeux vidéo
Sur la période de janvier à mars, j’ai été sollicitée pour participer aux réflexions relatives à la Mission parlementaire Esport, concernant le développement de compétitions de jeux vidéo.
Tout débute par la lettre de mission envoyée par Manuel Valls le 18 janvier 2016 aux 2 parlementaires, Jérôme Durain (Sénateur de Saône-et-Loire) et Rudy Salles (Député des Alpes-Maritimes) :
Lettre Mission Parlementaire 2016
De nombreux acteurs du secteur de l’esport ont été conviés pour contribuer à l’état des lieux du milieu, ses perspectives d’évolutions, ses freins et préconisations pour le développement.
Mon audition portait, pour ma part, sur un des objectifs de la mission : « évaluer les enjeux des compétitions de jeux vidéo, tant économiques que sociaux, et les risques relatifs à l’ordre public et à l’ordre social« .
Les propositions devaient porter sur plusieurs problématiques, dont celle pour laquelle j’étais interrogée : « apporter une définition juridique des compétitions de jeux vidéo, qui ne fragilise pas la cohérence de la législation et de la fiscalité sur les jeux d’argent, le cadre de lutte contre le blanchiment et les impératifs de protection des mineurs et des individus contre les risques d’addiction, tout en créant des obligations proportionnés permettant le développement économique associé à cette pratique ».
Invitée au Sénat pour une audition, puis à Bercy (Ministère de l’Economie), j’ai principalement fait remonter ces points :
Esport et enjeux sociétaux
Pas de risques majeurs :
- Pas d’addiction aux jeux vidéo : des pratiques excessives sont observables mais le jeu vidéo est un symptôme parmi tant d’autres et peut nécessiter une prise en charge globale
- Dans le milieu de l’esport tout particulièrement, aucune addiction n’a pu être observée. Il s’agit de joueurs dont l’entraînement est professionnel, à l’image d’un sportif
- Pas de risque spécifique concernant les jeux dits « violents » (la couche graphique n’est majoritairement pas pris en compte par les joueurs, se centrant plutôt sur les mécaniques des jeux et leurs stratégies)
Prévention auprès des jeunes (prévenir le décrochage scolaire, l’envie de devenir professionnel en laissant de côté les autres pans de la vie) :
- Favoriser la prévention à l’école (durant les temps de vie scolaire, les nouveaux EPI, en EPS, sur les temps périscolaires…)
- Parler des jeux vidéo et leurs compétitions ? Exploiter les jeux pour une continuité éducative ? Créer des jeux lors de projets collaboratifs
- Organiser des tournois à l’école pour encadrer les pratiques et pouvoir parler des enjeux socio-économiques, sanitaires, décrypter la réalité du monde de l’esport, développer les valeurs, accompagner les apprentissages…
- Exploiter les jeux esport pour les valeurs sportives associées (valeurs de partage, collaboration, dépassement de soi et de ses limites, respect des codes et de l’adversaire) et le développement de connaissances et compétences cognitives sous-jacentes (planification stratégique, abstraction spatiale, précision psychomotrice, dextérité, concentration/attention, mémorisation…)
Prévention jeu // école :
- Envisager un « sport-étude » pour que les jeunes joueurs professionnels soient en possibilité de terminer leur scolarité
- Envisager des modalités d’accès à la scolarité (modalités d’évaluations spécifiques pour rester dans l’établissement tout en pouvant s’absenter éventuellement pour des compétitions, cours à distance type CNED)
- Quelle(s) solution(s) pour mettre au rang de sport/loisir culturel comme le foot que l’on regarde, qu’on peut tenter de reproduire mais sans se prendre pour Zidane pour autant ? (Peu de places de professionnels dans le secteur, tout comme dans le sport professionnel)
Prévention publique :
- Interdire les compétitions aux -18 ans par exemple ne sert que pour certains jeux (et créerait d’autres soucis). Protection des mineurs via d’autres moyens éducatifs, prévention, et accompagnement.
- Favoriser l’équilibre du jeu vidéo au quotidien (école, amis, famille, sport…)
- Communication positive sur la « bonne hygiène de vie » des joueurs pro (lutte contre la sédentarité, décrochage scolaire, isolement…) ?
- Attention à la classification PEGI : peu acceptée par les professionnels du jeu vidéo (hors industrie) et par les professionnels de la jeunesse.
- Cette classification n’a pas de validité, est décidée par l’industrie elle-même et ne porte pas sur les éléments pouvant donner de réels repères (mécaniques, niveau de connaissances, prise en main…)
- Voir pour créer une classification indépendante ?
- Nécessité de la création d’un conseil indépendant (acteurs jeunesse, jeu vidéo, esport)
Le rapport intermédiaire des parlementaires a été remis à Axelle Lemaire (Secrétaire d’Etat chargée du Numérique) le 24 mars 2016, au Meldown Paris.
Il contient les 11 propositions suivantes :
- Proposition n° 1 : Exempter les compétitions de jeux vidéo du principe général d’interdiction des loteries : limiter cette exemption au cas des compétitions physiques, lorsque les frais d’inscription demandés se limitent à une participation aux frais d’organisation et ne correspondent pas à des mises ; soumettre les organisateurs à des obligations déclaratives proportionnées
- Proposition n° 2 : Conditionner la participation des mineurs aux compétitions à une autorisation parentale, dûment éclairée par la classification PEGI du jeu utilisé. Conditionner également leur présence en tant que spectateur à une autorisation parentale, lorsqu’ils ne dépassent pas l’âge requis par la classification PEGI.
- Proposition n° 3 : Soumettre les gains de compétition des mineurs à une obligation de consignation à la Caisse des dépôts, comme cela se pratique par exemple pour les mineurs de 16 ans exerçant dans le mannequinat, le sport ou en tant qu’acteur.
- Proposition n° 4 : Permettre au CSA de délibérer pour définir les conditions dans lesquelles la diffusion d’une compétition de jeux vidéo ne constitue pas une publicité dissimulée : cette délibération devra notamment écarter le risque que la mention du jeu vidéo utilisé comme support ou l’apparition de sponsors de la compétition ou d’équipes y participant à l’écran soient qualifiées de publicités dissimulées.
- Proposition n° 5 : Distinguer explicitement, par une prise de position du CSA, la classification PEGI des jeux vidéo, et la classification des images tirées des compétitions les utilisant comme support : cette distinction permettra la diffusion de compétitions de jeux vidéo ne comportant pas d’images choquantes à des horaires de plus grande écoute.
- Proposition n° 6 : Autoriser la conclusion de contrats à durée déterminés spécifiques pour les e-sportifs professionnels : cela impliquera de rendre applicable par la loi le contrat prévu aux articles L. 222-2 à L. 222-6 du code du sport au cas du e-sport professionnel.
- Proposition n° 7 : Mettre en place une politique de visa adaptée pour les e-sportifs professionnels : ne pas opposer le marché local de l’emploi lors du recrutement de e-sportifs étrangers, et prévoir la possibilité de délivrer de « passeports talents » aux joueurs les plus renommés souhaitant exercer depuis la France.
- Proposition n° 8 : Confier à une commission spécialisée du CNOSF la mission de régulation et de développement de l’e-sport : la loi pour une république numérique pourra prévoir des délégations successives de compétences à cette commission, pour permettre à terme sa transformation en une véritable fédération délégataire.
- Proposition n° 9 : Clarifier, par voie d’instruction fiscale, le statut des gains et cachets obtenu lors de la participation à des compétitions.
- Proposition n° 10 : Adopter un taux réduit de TVA à 5,5 % pour les droits d’entrée des spectateurs de compétitions.
- Proposition n° 11 : Préciser la fiscalité applicable aux « dons » à des entreprises : conditions d’application de la TVA et des droits de mutation à titre gratuit.
Retrouvez l’intégralité du rapport parlementaire intermédiaire en pdf ici :
La page du gouvernement présentant le rapport se trouve ici.
Pour plus d’information sur les enjeux d’un cadre légal pour l’esport, vous pouvez lire le très bon article de la Team AaA ici.
[MàJ juillet 2016] Le texte sera voté le dernier trimestre 2016, après avoir été adopté par le Sénat en mai et l’Assemblée Nationale en juillet 2016 mais ayant été quelque peu modifié. Certains articles restent donc soumis au vote fin septembre.