Le Quantified Self, quelles répercussions sur nos comportements et notre société ? – Conférence TechnoArk 2018

Le 26 janvier 2018, je participais à la 13ème édition de la Conférence TechnoArk, organisée comme chaque année par The Ark, la Fondation pour l’innovation en Valais (Suisse), sur le thème du Quantified Self.

 

 

Pitch de la journée

 

« Le Quantified Self pour la 13ème édition de la Conférence TechnoArk. Avec le développement des technologies et de la miniaturisation de celles-ci, nous embarquons un grand nombre de capteurs, qui permettent de calculer en temps réel notre activité sportive ou de bien-être. L’informatique se trouve au cœur de cette évolution, que l’on appelle parfois le Quantified Self. Quels sont les apports concrets de ces mesures en temps réels ? De quoi sera fait le futur proche dans ce domaine ? Quelles technologies viendront encore renforcer ces tendances ? Quelles pourraient être les dérives au niveau de nos comportements ? Comment nos données personnelles seront utilisées ? Quid du RGPD qui entre en vigueur le 25 mai 2018 ? Ces questions ont été débattues lors de la 13e édition de la Conférence TechnoArk, qui a eu lieu le vendredi 26 janvier à Sierre. Startup, grands groupes industriels, chercheurs, PME et sociologues ont confronté leurs idées sur le sujet. »


 
  

 

Programme : Quantified Self : une évolution inéluctable pour la performance et le bien-être ?

 

  • 09h45 : Introduction – Laurent Haug, modérateur, Christophe Darbellay, Laurent Sciboz
  • 10h10 : « Quantified Self », c’est quoi? – Carine Coulm
  • 11h00 : « E-coaching et digitalisation dans le sport professionnel » – Patrick Flaction
  • 11h50 : « Optimisation de la performance avec l’appareil O2score » – Philippe Monnier-Benoît
  • 12h10 : « Evolution du quantifiable vers l’utile » – Jean-Sébastien Mérieux
  • 13h45 : Pitchs recherche HES-SO Valais Wallis – Nicolas Délétroz (« Projet Santour »), Dominique Genoud (« Soft fall detection using machine learning in wearable devices »)
  • 14h00 : « Confidentialité des données biomédicales : risques et protections » – Mathias Humbert
  • 14h45 : « Le dépouillement numérique, ou les risques liés à la quantification de l’intime, notamment en termes de protection des données » – Sébastien Fanti
  • 15h15 : « Le Quantified Self, quelles répercussions sur nos comportements et notre société ? » – Vanessa Lalo

 

Le programme complet se trouve en ligne ici.

 

Crédit photo : TechnoArk

 

« Le Quantified Self : Quelles répercussions sur nos comportements et notre société ? »

 

Mon intervention portait sur les aspects suivants :

 

Des outils, des pratiques : du regard porté sur soi au regard porté par les autres

  • Quantified self = self tracking = auto-mesure de soi
    • Outils permettant des formes de visualisations de ses données personnelles
  • Données à destination de :
    • Mesure personnelle : pour son propre usage
    • Mesure collective: partage des données, rôle social (1/3 des utilisateurs)
  • Hommes # femmes

Se mesurer, au service de quoi ?

  • Au service :
    • Du bien-être
    • De la santé (rythme cardiaque, poids, tabagisme…)
    • Du sommeil (rythmes, apnées…)
    • De la nutrition (calories…)
    • Des pratiques sportives (kilomètres, performances…)
  • Indicateurs de forme, de performances
  • Horizontalisation de la société, pair à pair, producteur de soi
    • Se mesurer pour devenir son propre expert (l’utilisateur devient son spécialiste)

Se dépasser, se comparer, être soutenu

  • Communautés / conseils
  • Comparaison avec groupes de pairs / appartenances de groupes
  • Être soutenu dans ses objectifs
  • Performance / amélioration de soi / devenir « meilleur » (le meilleur)
  • Gratification / gamification / dopamine / circuit de la récompense
  • Se comparer / mise en compétition de ses données
  • Estime de soi / valorisation

S’exposer pour mieux s’introspecter ?

  • Construction de l’image de soi par l’externalisation et l’identification aux autres
  • Mesures précises # doutes
    • Rassurant (visualisation de progrès, gamification de soi)
  • Reconnaissance extérieure à tout prix
    • Intimité surexposée (positif dans performance, regard des autres, communautés soutien)
  • Escalade (regard, comparaison…)
  • Contrôle de soi = data-visualisation de sa propre banque de données personnelles
  • Quid des émotions personnelles et de l’introspection ?
  • Quel regard peut-on porter sur soi sans les technologies ? Quelles émotions reste-t-il ?

Se mesurer, à quel prix ?

  • Tout mesurer ? A quel prix ?
    • # Libertés individuelles (//au service de l’humain)
    • Données biométriques / données médicales / habitudes de consommations / géolocalisation…
    • Traces de soi « immortelles »
    • Sécurité des données récoltées (cybersécurité)
  • Quels domaines d’applications réglementer ? (ex. : santé = sécurité des données + non réutilisation tierce // auto-médication = risques)
  • Quelles valeurs (qualitative et financière) accorder aux données recueillies ?
    • Sont-elles fiables (risques de faux) ? Quelles méthodologies (biais de prédictions) ? Quelles valeurs morales (société de notation, comme dans Black Mirror) ?
    • Quelle valeur financière leur accorder ?
  • Données personnelles fournies gratuitement et « en confiance » par les utilisateurs car offres de plus en plus personnalisées et ciblées
    • De la réduction des risques en poussant les individus à marcher plus à la mise en vente de l’intimité

Enjeux et limites sociétales

  • Quelle éthique ? (cadre / préconisations / réglementations)
  • Quelles limites ? (protection de la vie privée, des libertés individuelles, cybersécurité)
  • Que veut-on faire de ces technologies ?
    • Au service de quoi ?
    • Vers un monde de bien commun au service de l’humain ?
  • Quelles dérives de société ?
    • Modèles économiques basés sur la récolte de données à fins commerciales, industrielles
    • Organismes d’états échangeant les données citoyennes contre monétisation privée
    • Contrats relatifs aux données
  • Ne pas renforcer les inégalités sociales
    • Risque de vendre ses données en échange de services
    • Impact des données personnelles sur les services (gratification / sanction selon qualité / quantité de données)
    • Risque de discrimination des non-connectés
  • Vers un monde de data
    • Où se place l’humain dans le Big Data ?
    • Profilage / réutilisation des données (bien commun # bien privé)
    • Quelles réglementations ou auto-régulations pour cadrer le stockage des données et reprendre la main sur ses données personnelles ?

 

    

 

« Les défis sociologiques et éthiques du numérique »

 

Un retour sur mon propos a été publié par les organisateurs. Source : TechnoArk.

 

Les technologies sont de plus en plus présentes dans nos vies. La mesure de soi, de son bien-être et de ses performances en est devenue d’ailleurs bien plus aisée. Dans ce contexte, de nombreuses questions sociologiques, déontologiques et éthiques sont soulevées.
Vanessa Lalo, psychologue du numérique à Paris, nous aide à y voir plus clair.

Ce sont les pratiques au quotidien, l’éducation et la pédagogie qui définissent le cadre social autour du numérique. Une réflexion autour des enjeux devrait également être menée. D’après Vanessa Lalo, une autorégulation suffit, il n’y a pas forcément besoin d’instaurer des règles.

Vulnérabilité face au numérique

En soi, les données ne sont pas encore au cœur des discussions de « Monsieur et Madame tout le monde » car ces derniers ne savent pas vraiment ce que c’est. « Ce qui fait qu’ils ne sont pas toujours conscients des conséquences lorsqu’ils transmettent leurs données personnelles. Par exemple, les gens en général sont réticents à dévoiler des informations personnelles à un interlocuteur direct. A contrario, ils entreront ces mêmes données si une application les leur demande ».
Les personnes les plus vulnérables face à la collecte de données et au partage d’informations à des fins marketings sont celles qui n’auront pas forcément eu accès à une éducation supérieure ou les personnes âgées qui ont très peu de connaissances dans le numérique. « Cela renforce encore les inégalités sociales », souligne Vanessa Lalo.
Certaines personnes submergées par un trop-plein de données passent même au suicide numérique. Elles suppriment tous leurs comptes des réseaux sociaux.
Le marketing de la confiance joue également un grand rôle. « On nous fait croire que l’on donne des données pour notre bien et ensuite on nous envoie des propositions d’offres qui nous correspondent et donc vont nous donner confiance. C’est une personnification. »

Redéfinition du cadre social

Pour parer à ce genre d’éventualités, il faudrait totalement redéfinir le système sociétal, construire de nouveaux modèles. Pourquoi ne pas lancer une société horizontale du type Wikipédia : construire Internet ensemble et ainsi être tous égaux face à l’information ?

Le Quantified Self

Grâce au Quantified Self, nous sommes un peu tous experts de et pour nous-mêmes. Pourtant, la  mesure de soi est en règle générale beaucoup plus utilisée par les femmes, car elles ont tendance à prendre plus soin d’elles.  Pas forcément dans une optique de performance, mais plutôt de bien-être. Aujourd’hui, une nouvelle dimension esthétique émerge également chez l’homme, ce qui rééquilibre la tendance.

Défis pour l’avenir

Un véritable challenge futur sera de réussir à laisser de la place à l’introspection, selon Vanessa Lalo. « Il faut réussir à porter un regard sur soi-même sans s’aider d’une machine ». Les outils, certes, facilitent les réponses, mais il ne faut pas qu’on oublie de réfléchir par nous-mêmes. Le même constat s’applique à la mémoire. De plus en plus actuellement, on ne retient plus l’information en soi, mais le chemin qui nous mène à l’information. Notre mémoire vive se surcharge.

Humain augmenté ou humain amélioré ?

Pour conclure, Vanessa Lalo fait référence à une métaphore : nous devons choisir notre camp entre l’orthèse ou la prothèse. La prothèse est là comme aide alors que l’orthèse vient nous augmenter, en plus de ce que nous possédons déjà. Est-ce que nous nous pensons défaillants et avons besoin d’une prothèse ou veut-on s’améliorer, devenir meilleur et utiliser une orthèse ? La question reste ouverte…

Propos recueillis le 26 janvier 2018 lors de la Conférence TechnoArk de Sierre

 

Vidéos des conférences

Les vidéos de toutes les interventions sont disponibles ici et ci-dessous :