Article – « Le numérique, une culture populaire » (Revue Résonnances, n°25 – octobre 2018)

Le 03 février 2018, j’étais invitée à une controverse publique autour de la question « Numérique ou place publique pour la transformation sociale ? ».

J’étais chargée de porter la voix en faveur du numérique, bien que mon propos soit modéré et prônant plutôt l’hybridation de tous les territoires éducatifs.

Chacun des 2 controverseurs devait argumenter selon la position défendue, puis le public était amené à rejoindre la scène pour soutenir les arguments « pour » ou « contre » et ainsi co-construire le débat. Une deuxième phase consistait à reprendre les raisonnements du public et à modérer son éclairage, avant de laisser le public de nouveau nous rejoindre pour clore les échanges sur une note ouverte.

 

          

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ces échanges ont donné lieu à l’écriture d’un article sous forme de controverse, publié dans la revue d’éducation populaire « Résonnances » n°25 (octobre 2018).

 

 

Vous trouverez ci-dessous le texte de mon article « Le numérique une culture populaire », sans les éléments de controverse :

 

Le numérique, une culture populaire

Trop souvent, les outils numériques sont pointés du doigt comme vecteurs d’isolement ou d’abêtissement. Pourtant le numérique décloisonne les frontières et l’accès à la connaissance, à condition d’une éducation minimale aux outils en ligne. Les ressources dont recèle Internet sont illimitées, ouvertes à tous et sans barrière géographique.

La généralisation du numérique et la massive utilisation des outils technologiques partout, par tout un chacun, tout au long de la vie, interroge la notion même d’éducation populaire. Prenons l’exemple de Wikipedia proposant l’encyclopédie la plus co-construite de l’Histoire, ou encore les initiatives d’associations, d’universités ou d’organismes publics demandant l’implication des individus pour découvrir de nouvelles planètes, prédire des épidémies, étudier le climat, recenser la faune et la flore, résoudre des puzzles scientifiques au service de la santé… Nous sommes rentrés dans l’ère de l’humanité participative.

Internet et les réseaux sociaux font partie de la culture de masse, permettant l’appropriation des savoirs et l’émergence de nouvelles places publiques. Chacun peut désormais exprimer ses attentes, avis, projets etc. dans l’espace public numérique. Numérique certes, mais public. Doit-on distinguer si clairement la participation citoyenne en plusieurs camps ? Ceux en « présentiel » ont-ils plus d’impacts que les participants à distance ?

Les individus n’ont jamais été autant connectés et interconnectés. Ainsi comment envisager la place publique sans inclure le numérique ? Quoi de plus populaire au 21e siècle que la communication numérique pour faciliter le lien social et le débat public ? Comment réunir des foules aujourd’hui sans passer par les canaux dématérialisés ?
Il ne s’agit pas tant de valoriser le numérique au détriment du tangible que de ne pas dévaloriser une interconnexion en complémentarité entre les individus, indispensable à la continuité citoyenne dans tous les espaces.

Les places publiques du monde tangible sont essentielles pour se retrouver, mener des projets communs et promouvoir le bien-vivre ensemble. Pour autant, peut-on encore lancer une action sans passer par les réseaux sociaux afin de rendre l’événement viral par la visibilité offerte et mobiliser le plus grand nombre ? « Nuit debout », par exemple, a pu être suivi par des dizaines de milliers de personnes au travers des relais numériques et ainsi susciter des retombées multiples en termes de mobilisation démocratique. Quelle aurait été l’efficience et la portée de ce mouvement sans la résonance des plateformes sociales en ligne pour converger les idées, organiser les rassemblements, faire connaître… ?

Les espaces numériques ne diminuent pas la citoyenneté, ils la renforcent, tout en proposant des modèles démocratiques inclusifs, où les personnes à mobilité réduite, âgées ou éloignées sont en mesure de partager et appuyer leur engagement social.

 

La « e-cité », une agora publique numérique

Dans la Grèce antique, l’agora désigne le centre de la vie publique. C’est le lieu de rassemblement social et politique de la cité démocratique pour l’assemblée des citoyens.
A cette image, les citoyens peuvent à présent s’emparer d’Internet pour établir un dialogue civil. Telles les agoras antiques, les outils en ligne, ouverts et participatifs, proposent des espaces sociaux en tant qu’espaces d’échanges et de constructions politiques collectives.

Qu’il s’agisse de groupes en lignes, de plateformes collaboratives à l’instar des forums, ou encore de réseaux sociaux permettant d’interagir en direct d’un événement, les lieux numériques spatialisent les discussions et servent de point d’ancrages. Dès lors qu’un lieu est identifié comme point de repère, de rendez-vous, de co-construction, il est naturel de s’en saisir pour apporter sa contribution.

Internet a aidé la mise en commun de nombreux projets collectifs. Il est désormais courant d’utiliser le numérique pour des appels à mobilisations, des consultations, des collaborations.
Les participations citoyennes prennent maintenant de nouvelles formes. Les mouvements de défense des « communs » ou « biens communs » en sont une illustration, prônant l’auto-organisation collective des ressources, dont Internet fait partie.

Des initiatives comme la concertation en ligne en vue du projet de loi pour une République Numérique porté par Axelle Lemaire, la consultation participative autour des budgets menée par la ville de Paris, ou encore la plateforme « Parlement & citoyens » proposant aux citoyens de contribuer à la rédaction des propositions de lois parlementaires, montrent de même que l’espace public s’est modifié. Il comprend d’ores et déjà le tissu social numérique.
La citoyenneté n’est plus entravée par les limites du monde physique. Profusion de projets se fondent autour de l’« Open », de l’ouvert, du libre, tels que les projets français data.gouv.fr, (plateforme de diffusion de données publiques) ou encore opendatafrance.net (association des collectivités engagées dans l’ouverture de leurs données).
Les constructions démocratiques participatives ne sont plus isolées. Il est dorénavant fréquent de voir fleurir des pétitions contre le pouvoir en place, de promouvoir la transparence des gouvernements et des informations publiques ou de lancer des projets territoriaux sur fond de financement participatif.
Cette effervescence démocratique est sous-tendue grâce à Internet, où l’on peut essaimer ses perspectives de n’importe où, n’importe quand, en informant le plus grand nombre.

La « citoyenneté 2.0 » repose sur le « web 2.0 » depuis 2005, favorisant les interactions et la création de communautés collaboratives. Les outils numériques et sociaux fédèrent les individus autour de projets communs en ligne. Lorsqu’ils sont suffisamment envisagés avec un regard critique autour de leurs enjeux et limites (économiques, écologiques, éthiques), ils sont supports aux échanges, aux co-constructions et aux libertés.

Les jeunes générations recourent largement au numérique pour communiquer. Le financement participatif d’actions locales est devenu monnaie courante. Comment faire de l’éducation populaire sans tirer avantage des outils et territoires sur lesquels ils échangent ? L’engagement associatif des jeunes est grandissant mais cela ne se passe pas forcément dans les places publiques en présentiel.

Le numérique renforce la notion de démocratie participative, fédère les individus et amplifie les actions en les rendant attractives et disponibles pour tous.
La rue physique ne suffit plus : il est primordial d’être là où se passent les débats, dans la « e-cité » et d’aller vers les autres pour mieux comprendre les arguments divergents et inclure le plus grand nombre de personnes au sein des discussions de société, afin de ne pas mettre de côté ceux n’ayant pas accès aux places publiques en présentiel, de réduire les risques éventuels en ligne, de ne pas alimenter l’entre-soi numérique comme présentiel , ni laisser le champ libre à l’instrumentalisation d’Internet par des groupuscules.

Les « Promeneurs du Net », par exemple (initiative portée par la Caisse Nationale des Allocations Familiales), s’inscrivent dans cette démarche d’aller vers les jeunes, de maintien du lien avec des adultes de confiance et de réduction des risques dans la « rue numérique » (prévention médico-sociale, éducation aux médias, accompagnement citoyen…).

 

Le numérique, une place publique comme les autres

La « rue numérique » n’est pas à opposer à la rue tangible. Ce sont des espaces complémentaires où se rassembler, exercer la citoyenneté et apprendre à apprendre. Le bien-vivre ensemble et les apprentissages reposent sur les mêmes principes, en dématérialisé comme dans le monde sensible.
Le sujet n’est pas de substituer le palpable au profit des mondes en ligne mais plutôt de trouver le juste équilibre entre les différentes pratiques, expressions et modalités démocratiques à l’ère numérique. L’hybridation des univers dont nous disposons paraît incontournable pour réduire les inégalités socioculturelles et les fractures numériques (coût matériel, disparités d’accès géographiques, fossés générationnels, illectronisme…), mieux appréhender les manifestations citoyennes, ouvrir sur d’autres cultures et favoriser l’éducation tout au long de la vie.

Les outils numériques dépendent de ce que l’on en fait. Comme tout outil, ils ne font rien sans un usager ayant une intention.
Il est donc nécessaire de s’approprier le numérique pour en dessiner les contours de demain et ainsi s’assurer que les technologies soient inclusives, équitables, éthiques, au service de l’humain et de l’émancipation.

Chaque système comporte ses limites. Le numérique peut encourager les rencontres, les échanges, les projets collaboratifs mais peut également exacerber les fragilités et les inégalités selon la façon d’exploiter les outils. Tout comme les places publiques tangibles excluent de facto les individus n’ayant pas la possibilité de se rendre « sur place ».

Internet doit être considéré comme un bien commun qui favorise l’égalité des chances tout comme l’égalité citoyenne. Pour ce faire, nous devons tous nous saisir du numérique, remplir Internet de contenus qualitatifs, mener vers d’autres ressources, accompagner vers des alternatives aux plateformes privées, éduquer aux médias et à l’information et particulièrement développer l’esprit critique.

La notion de virtuel est souvent employée pour désigner les espaces dématérialisés. Pourtant, la notion de virtuel se rattache au latent, en opposition au réel, manifeste et actuel. Il n’a ni ancrage ni effet. Or les mondes numériques sont corrélés au réel. Les espaces numériques sont en prolongement des actions menées dans les espaces tangibles et ces différents univers s’inter-influencent.
Internet est un reflet de l’humanité. Il ne tient qu’à nous d’exercer la même éthique, la même continuité éducative, le même bon sens et la même citoyenneté sur tous les supports.

Le numérique a pris une place prépondérante dans notre société en un laps de temps très court. Il est urgent d’éduquer aux outils 2.0, de les intégrer à nos modèles humains et de prendre conscience de leurs impacts, tant du côté des inconvénients que des opportunités de transformations sociales.
Trouver la juste mesure du numérique au service de l’humain sera peut-être le combat du 21e siècle vers la « citoyenneté 3.0 », mêlant les interactions entre les individus interconnectés, la société et les machines intelligentes.

 

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