Article – Le jeu vidéo, un coupable idéal

Le jeu vidéo, un coupable idéal – le Plus. Article initialement publié par Vanessa Lalo dans leplusnouvelobs le 07/07/11

Le jeu vidéo, un coupable idéal

Violence à l’école ou lors d’une soirée arrosée, les jeux vidéo et Internet restent souvent l’unique réponse aux dérapages.

Récemment, Nadine Morano a pointé la dangerosité des jeux vidéo pour tenter de comprendre comment une collégienne de 13 ans a pu décéder, à la suite de blessures graves, pour une simple querelle amoureuse. Alain Delon a également pris l’exemple des jeux vidéo, d’Internet et du virtuel pour expliquer comment une arme à feu détenue chez lui a pu être utilisée par des amis de son fils lors d’une soirée arrosée.

Les jeux vidéo rendent-ils donc violent ? Pourquoi interprète-t-on les faits d’actualité sous la forme d’une culpabilité venant d’un unique objet ? Notre société consomme, accuse, défend mais ne peut-on pas trouver une parole plus neutre, préservant la présomption d’innocence ? N’y a-t-il qu’un seul coupable ou qu’un seul responsable ? Pourquoi rejeter la faute sur les nouveaux médias numériques comme s’ils symbolisaient le péché originel?

« C’est pas moi, c’est l’Autre »

Une réponse, maintenant, tout de suite, le coupable idéal est donc l’Autre. L’Autre, mystérieux et angoissant que nous connaissons peu ou mal. L’Autre, non matérialisable, malfaisant, désirable et intriguant. Mais alors lorsque les jeux vidéo et Internet sont systématiquement fauteurs de troubles dans l’opinion publique, ne peut-on pas questionner cet Autre, objet du péché, que nous continuons à invoquer ?

L’objet « jeu vidéo » vient comme réponse toute faite et simplifiée là où de nombreuses questions pourraient être soulevées. Existe-t-il une seule cause à la violence des faits de société ? Ne pourrait-on pas analyser les faits dans leur globalité plus complexe ?

Dernièrement, les jeux vidéo et Internet ont encore été présentés comme cet Autre malfaisant, violent, venant dédouaner les acteurs de leurs responsabilités. Qu’il s’agisse du discours politique ou médiatique, dès que les faits nous échappent, le coupable est tout trouvé :  « Les jeux vidéo rendent violent », « les enfants vivent dans le virtuel »…

Pourtant le discours du « c’était mieux avant » est démagogique car les enfants ont, de tout temps, joué à la guerre, construit des univers imaginaires et virtuels en débutant leurs scénarios par : « on dirait que… ». Les parents n’ont jamais été inquiétés par leurs enfants fabriquant de fausses armes pour s’affronter « pour de faux ».

« C’est pas ma faute »

Cette violence généralisée que nous constatons aujourd’hui n’est pas inhérente aux jeux vidéo. La société évolue avec ses complexités propres, ses crises, et ses souffrances qui ne sauraient être prises à la légère en accusant cet Autre unique représenté par les jeux vidéo.

Selon les politiques ou l’opinion publique, nous observons une augmentation de l’ultra-violence en France, qui serait due, en grande partie, aux nouveaux médias numériques et particulièrement aux jeux vidéo emprunts de la plus grande violence.

Cette analyse déresponsabilise les acteurs garants de l’éducation et laisse entendre que les Hommes n’ont pas de capacité de discernement entre réel et virtuel. Pourtant, quand un joueur joue, il sait qu’il fait « comme si » et sauf structure psychotique ou instable, la différence entre jeu et réalité est totalement intégrée.

Au lieu de chercher des coupables, ne pourrions-nous pas reprendre nos places légitimes face à des enfants sans cadres ? L’éducation des enfants passe par l’éducation des adultes à l’utilisation des nouveaux médias numériques et au décryptage des images.

Société sans limites, médias proposant des supports et contenus infinis, peut-on comprendre et encadrer les nouvelles pratiques ?

Et si « les grands » allaient à l’école ?

Parents, professeurs, professionnels de la santé et politiques sont démunis face aux technologies numériques. En effet, ne les maîtrisant que peu ou prou, il est malaisé de se positionner face à elles. Le langage employé par les plus jeunes peut être déconcertant, de même que les nouvelles pratiques posent question sans avoir les outils pour y répondre.

L’éducation aux nouveaux médias numériques semble une issue intéressante par laquelle le fossé générationnel entre parents, enfants et spécialistes serait susceptible de se réduire et d’amener les différents acteurs à mieux communiquer.

Des cours d’éducation aux technologies et médias numériques, destinés aux adultes, commencent à être dispensés. Le but étant d’appréhender plus justement les pratiques des plus jeunes et de mieux connaître ces outils pour se les approprier, avoir la possibilité d’échanger avec enfants ou patients, voire de les pratiquer ensemble.

Le CLEMI (Centre de Liaison de l’Enseignement et des Médias de l’Information), un des acteurs majeurs de l’éducation aux médias, propose des formations depuis quelques années au sein de nombreux établissements scolaires afin d’apprendre aux adolescents comme aux enseignants à exploiter les nouvelles technologies, et à en apprécier les risques comme les enjeux.

Communiquer avec les enfants sur leurs pratiques (avec qui, quoi, quels supports), décrypter les images qui leurs sont proposées, discuter des films et jeux, poser des limites et respecter l’âge minimum fixé par la norme PEGI (Pan European Game Information), paraît indispensable pour à la fois mieux appréhender les médias numériques et mieux encadrer leurs utilisations.

Nous pensons vivre de plus en plus dans le virtuel mais ce virtuel était simplement appelé imaginaire auparavant. La démocratisation du numérique transpose cet imaginaire dans le virtuel par le biais d’un écran. Mais peut-on dire que l’on confond réel et virtuel ?

La guerre, c’est « pour de faux » ?

Une étude de l’Université du Texas, publiée en avril 2011, a mis en corrélation l’utilisation de jeux vidéo violents et les taux de criminalité aux États-Unis. Les résultats prouvent que non seulement les crimes violents n’ont pas augmenté avec la démultiplication des joueurs et des jeux, mais qu’au contraire les jeux vidéo violents aident à diminuer la criminalité depuis plusieurs années.

Par ailleurs, l’armée américaine a recours de plus en plus aux outils numériques lors de syndromes de stress post-traumatiques. Ainsi, les jeux thérapeutiques « Virtual Iraq / Afghanistan » ont été créés afin d’aider les soldats à revivre les expériences traumatiques par immersion dans le jeu à travers une simulation réaliste de scènes de guerres.

Parfois les émotions submergent les sujets qui ne sont plus capables, au début tout du moins, d’exprimer par des mots la violence subie ou ressentie. Seules des images et des émotions brutes viennent envahir l’esprit et les rêves sans qu’aucune élaboration ne soit possible. L’utilisation d’un jeu violent pousse donc à la réminiscence là où seule l’expérience peut être intégrée et remplace les mots.

Nous pourrions donc dire que la violence des jeux vidéo n’est pas si néfaste que l’opinion publique veut le laisser croire. Nous pourrions même ajouter que cette violence peut être salvatrice selon les cas. Alors la violence, c’était « mieux avant » ?

Vanessa Lalo