Article – Pokémon Go, pourquoi tant de haine ? – Tribune pour Libération (25/08/16)

« Pokémon Go, pourquoi tant de haine ? » – Tribune initialement publiée par liberation.fr le 25/08/16

Non, les jeux vidéo ne rendent pas « addict ». Non, les jeux vidéo ne rendent pas violents. Non, les jeux vidéo n’isolent pas leurs utilisateurs. Les clichés relayés, à chaque nouvelle sortie d’un jeu ou au détour de faits divers, ont la dent dure.

Les jeux vidéo sont des révélateurs de ce que nous sommes et des reflets de notre société. Ils viennent montrer à l’extérieur ce qu’il se passe à l’intérieur. Que dire de Pokémon Go qui a fait depuis un mois l’objet de tous les commentaires et traitements possibles ?

A chaque nouveauté son lot de panique

Chaque innovation produit son lot de paniques et autres angoisses… Au risque d’en fâcher certains, Pokémon Go est du même acabit que les jeux lancés en famille au coin du feu ou entre amis en bord de mer. Ce n’est pas parce que les détracteurs ne comprennent pas le jeu, qu’il est «idiot» pour autant. Doit-on d’ailleurs attendre d’un jeu qu’il soit utile ? N’est-ce pas le principe d’un divertissement d’être inutile ?

Les comportements excessifs existent mais que viennent-ils refléter ? Certains passent «trop» de temps à jouer (comme d’autres passent « trop » de temps à lire). Certains prennent « trop » de risques pour attraper des bestioles virtuelles (comme d’autres pratiquent des sports extrêmes)… Le comportement des individus sur un jeu n’est pas une conséquence du jeu. Il n’y a pas de lien de cause à effet.

Les jeux sont un miroir, rendant visibles les mécaniques inconscientes de chacun. Cent millions d’utilisateurs dans le monde jouent actuellement à Pokémon Go. Au-delà des préjugés, beaucoup ont trouvé de bons arguments pour partir en chasse au trésor en réalité augmentée. Jouer à Pokémon Go c’est autant d’occasions de sortir de chez soi, jouer dehors, découvrir des lieux inconnus, marcher, beaucoup marcher et surtout de se retrouver ensemble.

Ce jeu massivement adopté repose sur un univers dont tout le monde a entendu parler. Il est donc d’autant plus aisé de se lancer dans une « pokémonade », une promenade Pokémon, avec ses amis pour s’amuser, en famille comme prétexte à une ballade et de rencontrer des joueurs un peu partout. Support aux discussions, prétexte aux sorties, le jeu est un formidable média pour créer du lien social et se retrouver.

Le lien avec la « vraie vie »

Certains se contentent de collectionner les différents Pokémon au cours de sorties, d’autres sont plus compétitifs et cherchent les meilleures stratégies techniques pour gagner des arènes, d’autres encore profitent de l’été pour faire du tourisme et découvrir monuments et patrimoine à travers les « pokéstops » (centres d’intérêts publics répertoriés dans le jeu). L’occasion finalement pour les utilisateurs de faire le lien avec la « vraie vie » et de renforcer le rapport au réel en le regardant différemment.

Les familles ne sont pas en reste en ayant l’opportunité de faire du lien intergénérationnel tout en accompagnant les plus jeunes dans leurs apprentissages: se repérer dans l’espace, compter le nombre de Pokémon nécessaires à une évolution, déchiffrer les noms et transmettre leurs connaissances historiques et culturelles… Pokémon Go, et son phénomène massif, va enfin nous permettre, sans caricature, de prendre du recul sur les usages numériques, leurs réalités et différences, pour appréhender plus au près ces outils trop souvent incompris.

De plus en plus de musées développent des applications numériques dédiées, en réalité augmentée, pour découvrir d’autres facettes des œuvres, obtenir des compléments d’informations, vivre les expositions autrement, interagir avec les œuvres…

Vers une démocratisation des applications en réalité augmentée

Les exploitations culturelles sont vastes, allant de la reconnaissance des plantes ou des étoiles à la reconstitution de monuments apparaissant sur l’écran comme à leur époque. Dans les prochains mois, nous allons très certainement observer une démocratisation des applications en réalité augmentée et autres réalités hybrides, enrichissant le réel de contenus et proposant de nouvelles formes d’interactions diverses s’appuyant sur le réel.

Pokémon Go et son engouement planétaire poussent à essayer des applications dont la technologie était trop méconnue jusque-là, à mieux comprendre les usages émergents et à s’approprier ces nouveaux types d’expériences interactives avec la réalité. A chaque nouveauté, l’angoisse prédomine mais les limites et les utilisations pertinentes vont se dessiner collectivement. Arrêtons d’avoir peur de l’inconnu et réfléchissons ensemble plutôt aux risques réels (données, vie privée) pour proposer des conduites responsables.

Crédit photo : Des chasseurs de Pokémon sous la tour Eiffel. Photo Boris Allin. Hans Lucas pour libération