Les addictions et ses « objets », Conférence à la Gamers Assembly 2009

Les addictions et ses « objets »

L’Addiction

Etymologie

Le terme « addiction » vient du latin « ad-dicere », signifiant «dit à». A l’origine le mot « addiction » était employé pour désigner les esclaves qui étaient « dits à » leur maîtres…

Par la suite, le vieux français utilisait le mot « addictus » qui voulait dire « contrainte par corps ». Nous retrouvons cette idée d’esclavagisme, et surtout cette notion d’appartenance du corps.

Sens en Psychanalyse

En psychanalyse, le mot « addiction » a été employé dans le but d’expliquer des fonctionnements particuliers de sujets dépendants à une substance ou à un objet se situant en dehors du corps, que l’on nomme « objet externe ».

Le terme de dépendance ou d’habitude ne suffisait pas à décrire le besoin de répétition de ces comportements et la satisfaction provoquée par cette répétition n’était pas prise en compte dans la seule notion de dépendance. C’est pourquoi la psychanalyse a adopté le mot « addiction ».

Mais vouloir ne pas passer à côté de ce fonctionnement particulier et vouloir absolument désigner tout comportement excessif comme une « addiction », sont deux choses bien différentes.

La notion d’ « addiction » est devenue à la mode et son utilisation abusive perd tout son sens pour devenir une catégorie dans laquelle on rangerait toutes sortes de conduites, de comportements et de symptômes.

Or l’ « addiction » est un symptôme qui montre, au devant de la scène, la problématique inconsciente, cachée et refoulée du sujet. Il ne faut pas confondre l’expression d’un malaise par le biais d’un symptôme avec la problématique et/ou la pathologie dissimulée derrière. Par exemple, le diagnostique d’ « addiction » ne doit pas cacher celui de dépression.

Nous allons donc tenter ensemble de mieux connaître cette notion que l’on appelle « addiction » afin qu’il n’y ait aucune confusion entre l’excès, la dépendance, et l’ « addiction » à proprement parler.

L’addiction c’est donc la dépendance + ce que Freud appelait déjà la compulsion de répétition, c’est-à-dire avoir besoin de répéter un comportement et ne peut pas pouvoir s’en empêcher.

Le comportement spécifique dans l’ « addiction » c’est d’utiliser un objet externe (héroïne, cannabis, alcool, nourriture, ordinateur etc.) afin de se soulager d’une souffrance interne. Au départ, le but est de se procurer du plaisir ou de diminuer un mal-être mais au final le sujet se retrouve piégé car il se retrouve contraint à devoir répéter ce comportement s’il ne veut pas « être mal ».

Au départ c’est donc la lune de miel, le sujet utilise l’objet externe pour « aller bien » mais par la suite, il s’en sert pour « ne plus être mal ».

Le sujet devient alors « addict » à l’expérience qu’il vit avec l’objet, de l’ordre d’un soulagement de conflit intérieur, plus que dépendant à la substance toxique, ou autre objet d’addiction. L’ « addiction » c’est donc une réponse à un conflit et une source de paix intérieure grâce à la répétition de l’utilisation d’un objet externe.

Nous parleronsalors plutôt de « conduites addictives » pour aller dans le sens d’un fonctionnement faisant appel à un « objet addictif », afin de bien séparer le sujetet l’objet de son addiction, car il s’agit d’une rencontre à un moment donné du sujet avec un objet qui viendra répondre à ses conflits.

Les Conduites addictives

En suivant le travail que S. Le Poulichet (Psychanalyste et directrice de recherches) a effectué sur la notion d’addiction, nous pourrions dire que les « conduites addictives » se greffent sur une dépendance préexistante aux « objets externes », ainsi que sur des assises narcissiques fragiles.

La substance, que l’on pourrait appeler l’objet de l’ « addiction » ou encore « l’objet addictif », viendrait seulement réactualiser une problématique antérieure d’ « incertitude identitaire[1] ». L’objet de l’ « addiction » (« objet addictif ») apparaît alors comme un moyen illusoire et paradoxal de rétablir cette identité, dans une tentative de réparation du sujet envers lui-même, en utilisant quelque chose situé à l’extérieur pour aller mieux à l’intérieur (Autoconservation du Moi en souffrance).

Un dernier point concernant la définition de l’ « addiction » :

On pourrait dire que ce qui caractérise le plus la notion d’addiction au sein des théories psychanalytiques, c’est l’acception française du terme qui consiste à introduire l’idée d’ « avidité » et de souffrance dans la répétition du comportement.

Il n’est alors plus question d’abus mais de « souffrance paradoxale » comme l’appellent deux auteurs (Pedinielli et Rouan), afin de qualifier cette soumission à l’acte dans une« conscience impuissante ».

Ce qui signifie que le sujet a le sentiment (l’impression) qu’il maitrise et/ou contrôle sa conduite et son objet alors qu’il en est devenu dépendant.


L’ « addiction » aux jeux-vidéo existe-t-elle ?

L’ « addiction » aux jeux vidéo n’a pas encore été prouvée. Nous devons donc attendre les publications avant de nous prononcer sur le sujet.

En revanche, peut-on parler de dépendance aux jeux vidéo ?

Et qu’est-ce que la dépendance ? Si vous souhaitez en savoir plus sur les critères diagnostiques de la dépendance (CIM-10, DSM-IV…), cliquez-ici :

Appliqués aux jeux vidéo, les critères de la dépendance pousseraient à prêter attention aux points suivants :

Quand le jeu est au centre de la vie du sujet et que jouer devient nécessaire au bien-être au lieu de le compléter

Quand le jeu vient prendre la place des investissements affectifs, scolaires, professionnels, du sujet

Doit-on quantifier la consommation d’un joueur et s’intéresser au nombre d’heures passées sur un jeu, ou ne doit-on pas plutôt chercher un moyen qualitatif de vérifier les investissements du sujet envers ses jeux ?


Peut-on donc parler d’ « addiction » aux jeu-vidéo ?

La question reste entière, bien que tranchée comme pathologie par les médias mais pointée comme « non prouvée » par certains spécialistes.

Selon moi, même si l’on peut repérer le jeu excessif comme un symptôme, on ne peut pas le confondre avec sa cause.

Parler d’ « addiction » pour tout reviendrait à étiqueter chaque personne en fonction de ses comportements ou consommations, au lieu de chercher le problème sous-jacent auquel le jeu, par exemple, viendrait répondre :

Conflit familial (pour les enfants, les ados, les parents…) (séparation, deuil…)

Difficultés affectives et/ou émotionnelles passagères

Pathologie psychique latente (dépression, schizophrénie, troubles bipolaires…)

« Conduite addictive » latente prenant le jeu vidéo comme « objet addictif ».

Pulsions libidinales (agressives, sexuelles…) ayant besoin d’être canalisées

Besoin de (re)conflictualiser une situation dans laquelle l’angoisse est trop prégnante pour être abordée frontalement. Le fait de jouer et de répéter certaines scènes du jeu ou du scénario du jeu, permet de se dégager de la pure angoisse pour avoir une certaine maitrise de la situation qui n’est pas sans rappeler le processus de subjectivation et de construction identitaire à travers la réactualisation de conflits anciens, voire archaïques, non dépassés.

« Mise en scène » et « mise au-devant de la scène » (projection) : façon de mettre « hors-soi » des désirs, des pulsions que le sujet a du mal à gérer, à canaliser, ou qui ont besoin d’être extériorisées tout simplement.
Cette mise « hors-soi » (appelée aussi « externalisation ») permet alors de mettre à distance les désirs et interdits envahissant trop la vie psychique.

Cette liste est, bien entendu, non exhaustive.

[1] « Les logiques de l’addiction », Jean-Louis Pedinielli et Georges Rouan, in Les addictions, sous la direction de S. Le Poulichet, p.85